Ecrire son roman
Publié le 28 août 2024
Les héros de romans ne sont pas plus narcissiques que leurs alter ego réels. Les romanciers utilisent fréquemment cette technique afin d’apporter des informations sur le physique du personnage tout en gérant les contraintes imposées par la narration.
Et pourquoi donc se compliquer la vie et ne pas recourir à une description directe ?
En fait, tout dépend du point de vue narratif choisi.
Le narrateur peut être externe, omniscient ou focalisé.
Dans un point de vue focalisé (à la première personne ou à la troisième personne subjective), le lecteur est immergé dans les pensées et les perceptions du personnage, il voit le monde à travers ses yeux, ressent ses émotions et partage ses réflexions.
Toutefois, cette perspective impose une contrainte majeure : le personnage ne se voit pas lui-même. Par conséquent,si le narrateur peut sans problème décrire les autres personnages à travers le regard de son protagoniste, en revanche, il lui sera plus difficile d’apporter des informations sur le protagoniste lui-même sans détruire la sensation d’immersion.
D’où cette récurrence de la scène du miroir dans les récits : le héros jette un coup d’œil à son reflet, cela fournit un prétexte au narrateur pour le décrire. Il s’agit d’une forme de ruse narrative qui permet d’informer le lecteur tout en demeurant cohérent avec le point de vue narratif.
Évidemment, comme le stratagème est régulièrement utilisé, il finit par paraître artificiel. Il n'est pas mauvais pour autant, d'autant plus que, dans nos sociétés, la majorité des gens se retrouvent amener à contempler leur image plusieurs fois par jour. En conséquence, rien de bien extraordinaire à ce que les personnages en fassent autant dans les récits fictionnels.
Pour preuve : beaucoup de bons romanciers continuent à y recourir.
Et les très bons romanciers, eux, le transcendent carrément, comme c'est le cas pour Dennis Lehane dans le premier chapitre de son dernier roman, Le Silence, publié en France début 2024 chez Gallmeister.
L’action se déroule au commencement des années 1970 et met en scène Mary-Pat, une Américaine d’origine irlandaise qui habite dans un quartier défavorisé de Boston.
« LA panne de courant se produit un peu avant l’aube et tous les habitants de la cité Commonwealth1 se réveillent en nage. Dans l’appartement des Fennessy, les ventilateurs de fenêtre sont restés bloqués et des gouttes de sueur perlent sur le frigo. Mary Pat jette un coup d’œil dans la chambre de sa fille Jules, la trouve couchée sur les draps, les yeux fermés, la bouche entrouverte, projetant de petites expirations dans son oreiller moite. Mary Pat continue dans le couloir jusqu’à la cuisine et allume sa première cigarette de la journée. Elle regarde par la fenêtre, au-dessus de l’évier, et sent l’odeur de la chaleur qui se dégage des briques de l’encadrement.
C’est seulement au moment où elle essaie de faire du café qu’elle se rend compte qu’elle ne peut pas. Elle pourrait mettre de l’eau à chauffer sur la cuisinière, qui fonctionne au gaz, mais la compagnie en a eu assez de ses excuses et elle a coupé l’alimentation la semaine dernière. Pour éponger ses arriérés, Mary Pat a effectué deux journées à l’entrepôt de chaussures où elle occupe un second emploi, mais il va lui falloir en faire trois de plus, puis se déplacer jusqu’au bureau de facturation, avant de pouvoir de nouveau mettre de l’eau à bouillir ou faire rôtir un poulet.
Elle va dans la salle de séjour, la poubelle à la main, et y balance toutes les canettes de bière qui traînent. Elle vide les cendriers de la table basse et de la desserte, puis un autre qu’elle trouve sur la télé. C’est à cet instant qu’elle aperçoit son reflet sur l’écran, et elle ne parvient pas à faire coïncider la créature qu’elle voit avec l’image d’elle-même qu’elle conserve dans son esprit – une image qui n’a que peu de ressemblance avec cette masse de cheveux moites et emmêlés et ce menton qui pendouille, le tout vêtu d’un débardeur et d’un short. Même dans le gris terne de l’écran, elle distingue, sur le côté extérieur de ses cuisses, des veines bleues qui, sans qu’elle sache vraiment pourquoi, ne lui semblent pas possibles, pas déjà. Non, pas déjà. Elle n’a que quarante-deux ans – bon, d’accord, quand elle en avait douze, elle avait l’impression que c’était un âge où on a déjà un pied dans la salle d’attente du Bon Dieu, mais maintenant qu’elle les a, elle ne se sent pas différente d’avant. Elle a douze ans, elle a vingt-et-un ans, elle a trente-trois ans, elle a tous les âges en même temps. Mais elle ne vieillit pas. Pas dans son cœur. Pas dans sa tête. »
Dans le premier chapitre, Mary Pat, l’héroïne, se confronte à son reflet dans un écran de télévision éteint après une panne d’électricité. Ce choix d’objet réfléchissant est tout sauf anodin. Lehane ne se contente pas de décrire le physique de Mary Pat ; il utilise cette scène pour enrichir le contexte et le sous-texte du récit.
Conclusion
La scène du miroir, bien que classique, peut devenir un outil narratif puissant entre les mains d’un auteur habile. Loin d’être un simple cliché, elle offre des possibilités infinies pour enrichir le récit, approfondir les personnages et souligner les thèmes principaux de l’œuvre. Alors, ne craignez pas de l’utiliser dans vos propres écrits, mais faites-le avec intention et créativité.
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