Montrer et raconter dans un roman : attention à la nuance !

Montrer et raconter dans un roman : attention à la nuance !

Dans la seconde partie de cet article consacré au fameux Show don’t tell, nous allons passer en revue quelques subtilités de ce conseil incontournable, mais néanmoins souvent mal compris et donc appliqué avec maladresse.

Ecrire son roman

Publié le 23 septembre 2024

Montrer et raconter dans un roman : attention à la nuance !

Écrire une scène et montrer une action : quel rapport entre les deux ?

Qu’est-ce qu’une scène ?

Dans une histoire, une scène constitue une unité narrative qui montre l’action en temps réel au lecteur (ou spectateur), comme si celui-ci en était témoin. Une scène bien écrite permet donc d'expérimenter chaque geste, chaque émotion et chaque réaction des personnages en direct. On peut donc affirmer que l’intérêt d’une scène consiste justement à montrer plutôt que raconter.

Résumé narratif et exposition

C’est exactement l’inverse d’un résumé narratif, qui se contente de condenser l’action ou l’intrigue en une série de faits. Du moins en théorie, parce que c'est plus compliqué que cela, nous allons voir pourquoi.
Il existe un autre procédé appelé « exposition » qui apporte également des informations ou des explications, le plus souvent sur le contexte et l’univers du récit, sur le passé des personnages ou encore sur leurs motivations.
L’exposition relève également du raconter.

Un exemple d’exposition

Voici un extrait situé au commencement d’un des plus célèbres romans de Charles Dickens, Un conte de deux villes. Voyons ensemble comment il présente la France de la fin de l'Ancien Régime.

"La France, moins favorisée en tout ce qui concerne le spiritisme que sa sœur de combat (l’Angleterre NDA), descendait la pente avec une extrême douceur, fabriquant des billets de banque et les dépensant. Sous la direction de son clergé, elle se distrayait
dans des exploits d’une réelle valeur humaine, comme de faire condamner un jeune homme à avoir les mains coupées, la langue arrachée avec des tenailles, et le corps brûlé vif, cela parce qu’il ne s’était pas agenouillé sous la pluie pour honorer une procession de moines crasseux qui passait dans son champ visuel, à une distance de quelque cinquante ou soixante yards. Il est assez vraisemblable que, enracinés
dans les forêts de France et de Norvège, des arbres étaient en train de grandir quand ce malheureux fut mis à mort, déjà marqués par le bûcheron Destinée, pour être abattus et sciés en planches, pour faire un certain châssis mobile, agrémenté d’un sac et d’un couperet, terrible dans l’histoire."

Charles Dickens — Un conte de deux villes

Montrer, raconter dans un roman : une frontière parfois ténue

Attardons-nous sur ce dernier extrait. On peut noter que que Dickens utilise un certain nombre de procédés pour symboliser la situation de la France qui rendent son exposition à la fois drôle et évocatrice, en un mot : vivante. Il manie fort bien l’humour, l'ironie, les périphrases et le choix des détails  : l’affaire Callas (un jeune protestant torturé et tué à cause de sa religion) et la banqueroute de Law (première invention ratée des billets de banque). On a beau se trouver dans une exposition, (donc théoriquement dans le registre du raconter), le passage montre également beaucoup.

Idem pour le résumé narratif. Il peut s’intercaler dans une scène et inversement une scène peut comporter des éléments résumés – au point que les limites entre les deux procédés deviennent souvent floues.

Voici un extrait du dernier roman d’Ayana Mathis, Les égarés, qui vient de sortir aux éditions Gallmeister et qui illustre cette ambiguïté.

La salle d’attente était grande comme le DMV1, avec des rangées de sièges en plastique boulonnés au sol. L’homme à l’accueil ne cessa pas d’appeler Ava et Toussaint à son guichet, ne leur posant qu’une seule question chaque fois. Noms ? Très bien, allez vous asseoir. Pièces d’identité ? OK. Prenez un siège. L’endroit était sinistre, mais affairé. Il y avait comme une impression d’urgence qui se dégageait des gens qui travaillaient là, comme s’ils réglaient des problèmes sans arrêt, le téléphone collé à l’oreille, des piles de dossiers sur leur bureau. Dans un coin de la salle d’attente, une femme maigrichonne massait les coudes de son fils avec de la vaseline comme si sa vie en dépendait. C’était un spectacle réconfortant. Comme on dit, faut pas se laisser abattre à la première difficulté. Ava serra la main de Toussaint.
— Peut-être qu’on n’aura pas trop longtemps à attendre, dit-elle
Mais ils attendirent longtemps. Une heure passa, puis deux. Bientôt ce fut l’après-midi, ou plutôt, Ava devina que c’était l’après-midi car le soleil devint blanc et la salle étouffante. L’homme à l’accueil les appela de nouveau pour donner à Ava une liasse de formulaires attachés à un porte-bloc à pince. Quand ils retournèrent à leur place, leurs sièges avaient été pris par une femme du genre t’as-quelque-chose-à-redire, toi ? et un gamin qui avait le bras plongé dans un sachet de Doritos.

Ayana Mathis - Les Egarés

Avons-nous affaire à une véritable scène ? Il est difficile de trancher. A priori, nous nous trouvons plutôt dans un résumé : la description d’un après-midi passé par une mère et son jeune fils dans un bureau de l’aide sociale. En effet, il y a bien une condensation du temps : plusieurs heures en quelques phrases. Et pourtant, à la lecture, nous éprouvons beaucoup plus un sentiment de « montrer » que de « raconter », grâce à la présence de tous les éléments frappants, un morceau de dialogue etc.

Le montrer et le raconter sont subjectifs

Il s’agit d’un point important. Il n’existe pas de critères absolus pour distinguer un texte montré d’un texte raconté. Il s’agit plutôt de deux choix stylistiques qui constituent une forme de continuum. L'on peut montrer de manière plus ou moins détaillée (de quelques phrases à plusieurs pages) et il en va de même quand il s’agit de raconter : le résumé peut être plus ou moins bref et contenir des morceaux de scène.

Le rôle du point de vue narratif

C'est là que cela se complique encore un peu. En fonction du point de vue narratif choisi, une phrase peut sonner plutôt « montrer » ou plutôt « raconter ».

Exemple très simple :

" Julie retroussa sa robe jusqu’aux genoux pour enjamber le ruisseau."

Nous avons d'abord une action concrète et facile à constater par n’importe qui : (relever sa robe) qui relève du montrer. Puis la seconde partie de la phrase « pour traverser la rivière » assigne une motivation au personnage. Il procéderait plutôt du registre du « raconter »… En effet, la motivation est un élément psychologique qui suppose l'intervention d'un narrateur externe.

Sauf qu’en fait… Cela dépend du point de vue choisi.

Nous allons essayer de faire simple.

Point de vue subjectif et point de vue externe ou omniscient

Si Julie est le personnage point-de-vue, nous nous trouvons dans sa tête, nous voyons le monde à travers ses yeux, nous avons accès à ses pensées et ses émotions. Présenter sa motivation est somme toute logique et relève du montrer : nul besoin de l’intervention d’un narrateur externe pour interpréter son geste et déchiffrer ses intentions.

Imaginons maintenant que notre personnage point-de-vue, ne soit plus Julie, mais Annie, la meilleure amie de Julie, qui regarde cette dernière agir. Nous assistons donc à la scène à travers le regard d’Annie. En somme, Annie observe Julie. Pour le coup, " pour enjamber le ruisseau " devient une interprétation - certes, assez évidente et donc pas très hasardeuse.

Dans le cas d'une narration externe ou omnisciente, si le narrateur souhaite montrer sans ambiguïté aucune, il est plus judicieux pour lui d'écrire :

" Julie retroussa sa jupe et enjamba le ruisseau."

Dans ce cas, nous avons deux actions constatables par un observateur externe, sans nécessité d’interpréter.

Pas trop mal à la tête ? Si la réponse est non, nous allons aborder une dernière notion clé : celle de la distance narrative.

Distance narrative : un outil clé pour le « show, don’t tell »

La notion de distance narrative est essentielle pour comprendre comment montrer au lieu de raconter. Plus la distance entre le personnage et le lecteur est réduite, plus l’écriture tend à montrer, à immerger le lecteur dans l’action. Voici un exemple de distance narrative courte, qui montre l’action de façon immédiate :

« Le zombie se jeta à travers la fenêtre ouverte. Oh, merde ! Bob attrapa le fusil et pressa la détente. »

À l’inverse, une distance narrative plus grande semble plus distante :

« Alors que le zombie passait à travers la fenêtre, Bob attrapa le fusil. Il pensa, “Oh, merde”, avant de tirer. »
Dans la première version, l’action est directe, et on la vit avec le personnage. Dans la seconde, on nous raconte ce qui se passe, ce qui crée un certain sentiment de détachement.

Nous allons prendre un exemple assez parlant, tiré du tome 1 de Vernon Subutex par Virginie Despentes.

Les gens qui ont des gosses font toujours chier ceux qui n’en ont pas. Mais ils ne supportent pas qu’on leur dise la vérité — quand je vois ta vie franchement j’ai envie de tout sauf de la même. Ce ne sont pas les enfants qui dérangent Vernon. Mais tout ce qui va avec le débecte. Les cadeaux de Noël, la petite école, regarder dix fois le même DVD, les jouets, les goûters, les rougeoles, les légumes, les vacances en famille… et devenir parent. Les gens autour de lui sont entrés dans les galères d’adulte avec un certain enthousiasme. Vernon ne compte plus les potes qu’il a vus débouler avec le sac à fleurs rempli de couches sur l’épaule, le chauffe-biberon entre les dents et la poussette à mille euros, et qui du jour au lendemain essayent de t’expliquer que même les durs font du poney. Mais non. Un mec avec bébé est un mec foutu.

Virginie Despentes - Vernon Subutex

Il est évident qu’il s’agit des pensées du personnage, Vernon, et non de celles d’un narrateur omniscient, comme le montre les termes familiers, voire argotiques et les interventions directes de Vernon « quand je vois ta vie, franchement, j’ai envie de tout sauf de la mienne » etc.

Si le narrateur avait choisi une distance narrative plus importante, cela aurait abouti à un résultat tel que : Les gens avec des enfants ennuient profondément Vernon. En plus, il a souvent remarqué que ces derniers se vexaient quand on leur en faisait la remarque. À vrai dire, Vernon ne déteste pas les enfants, mais il supporte très mal les contraintes imposées par la vie familiale. » Etc.

Le choix d'un point de vue narratif plus distancié imposerait donc un texte qui sonnerait beaucoup plus comme du « raconter ».

Par conséquent, plus on écrit en restant proche du personnage, moins le risque de « raconter » est grand. Cependant, une distance narrative étroite peut créer d’autres problématiques et difficultés. Il ne s’agit donc pas non plus d’une option à privilégier à tout prix.

En conclusion : montrer et raconter un continuum narratif

Évaluer si un texte relève du raconter ou du montrer implique une part de subjectivité. Certains textes sonneront comme « raconter » alors qu’ils ont été écrits dans une optique de « montrer » et inversement. Le choix du point de vue et de la distance narratives occupent une place prépondérante dans cette appréciation. Tout comme la voix narrative, un concept dont nous aurons l’occasion de reparler.

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